C’est l’histoire d’un Génois, engagé par une Madrilène pour aller chercher fortune en Inde et qui finit en Amérique. C’est l’histoire d’un émigré voyageur ramenant dans ses malles le cacao et la pomme de terre, qui donneront à la Belgique deux de ses plus beaux emblèmes, le chocolat et la frite. La frite, immigrée elle aussi, née sur le Pont-neuf à Paris et devenue plus belge que française en l’espace de quelques générations. C’est l’histoire mille fois répétée, de caravane en caravelle, du goût voyageur et sans papiers, indifférent aux frontières.

Sans migration, notre culture culinaire serait aussi pauvre que le régime d’un paysan du Moyen Âge. Et voilà que notre siècle, à peine adulte et déjà amnésique des leçons du précédent, n’a qu’une obsession, mettre à la porte tout ce qui vient d’ailleurs. Non content de rejeter à la mer plus de deux tiers des poissons pêchés parce qu’ils ne sont pas de la bonne espèce, nous faisons de même avec nos congénères, pour peu qu’ils aient le malheur de vouloir se réfugier sur nos rivages.

Loin de manger notre pain, les étrangers sont aujourd’hui bien souvent ceux qui le pétrissent et le cuisent. Notre grande et belle scène gastronomique belge est un magnifique espace de migrations, de rencontres, de métissage. Des métis à la mètis, ce mot grec impossible à traduire, cette intelligence hybride, cette ruse qui vient à bout des plus grandes forces contraires, il n’y a qu’un pas. Franchissons-le. Soyons d’étranges étrangers. Soyons polymorphes.

Alors que Foodprint pose sur les rayonnages son dixième tome, il suffit d’embrasser du regard cette décennie écoulée pour voir à quel point la Belgique culinaire s’est internationalisée. Aux yeux du monde et en son sein. Une leçon d’ouverture et de cosmopolitisme dont les plus beaux symboles se nomment Vilhjalmur Sigurdarson, Michael Yates, Nicolas Scheidt, Adriana Zafiris, Frédéric Chastro, Nick Bril, Marcello Ballardin, Laurent Folmer, David Martin, Karen Torosyan... Des hommes et des femmes sans frontières, qui nous montrent la voie, celle du cœur et de l’hospitalité, jamais celle du repli.