La Belgique en orbite

Ouverture de la 7ème édition du festival Culinaria à Bruxelles, avec deux vedettes, l’impeccable Michel Troisgros, et le ‘Belgium effect’. Ou comment le pays de la bière et des frites continue à surprendre sur la scène gastronomique mondiale. Même si vous n’aimez pas les happenings foodies branchés, vous allez déguster.

Quand le premier album de Mumford & Sons, Sigh No More, est sorti il y a six ans, la plupart des critiques sont restés cloués. Rythmiques de guitare savamment bancales, banjo bluegrass déchainé, batterie en morceau et voix d’écorché vif. Le tout avec ce qu’il faut de poésie et de bad boy attitude pour emballer les groupies de tous âges. Rebelote trois ans plus tard avec le deuxième opus, Babel, même si on commençait à sentir poindre l’essoufflement…

Et puis la semaine dernière est arrivé Wilder Mind. Un supertanker formaté pour les stades et les festivals d’été. Rangés banjos et contrebasses, place à la compression gros tonnage et aux tempos qui ne bougent pas d’un poil. On avait l’impression d’avoir découvert un groupe qui n’avait pas peur de faire sale et bordélique et on se retrouve avec une énième version du dentifrice Coldplay. Rien de désagréable, on a bonne haleine. C’est propre et sans surprise. Mais on s’emmerde un peu.

Dans le hall de Tours & Taxis hier, pour la première soirée de Culinaria, je me posais la question. Et si la cuisine, comme la musique, se transformait sous la pression des festivals, de la scène, du besoin de satisfaire un public toujours un peu plus demandeur de sensations ? Et si on allait se mettre à nous faire bouffer de la gastronomie de stade, imaginée pour des cohortes de foodies un peu snobs, élevés à grands coups d’espuma de yuzu et de sushi de tête de veau ? Et si on allait dans le mur ?

La mozzarella d’Ardennes fumée de Clément Petitjean a stoppé là mes réflexions sur les vertus comparées du chalumeau et de la noise gate. On est bien d’accord, la cuisine des chefs s’apprécie chez eux, au calme, sans carré vip et sans badge all access.

Mais il y a quelque chose d’assez magique à les voir les uns à côté des autres, se répondre à coup de salsifis et de riz au lait, dans une ambiance carrément bon enfant. A la conférence de presse, légèrement dépeuplée pour cause d’orages tropicaux sur le ring de Bruxelles, Michel Troisgros vantait les mérites d’une Belgique créative et accueillante. Vu de France, où les relations entre les grands chefs ressemblent plus à un épisode de Game of Thrones qu’à la Croisière s’amuse, il y a en effet de quoi écarquiller les yeux.

D’autant que ce qui semble définir la cuisine made in Belgium, c’est avant tout l’absence de chapelle ou de leader. Chacun fait ce qui lui plait, ça part dans tous les sens, sans classicisme obligé, et surtout sans orgueil cocardier mal placé. Le ‘Belgium effect’ au menu de Culinaria 2015 est d’ailleurs tout autant l’œuvre d’Alex Joseph (un américain), des frères Folmer et de Julien Burlat (des français) ou de Vilhjalmur Sigurdarson (un islandais dont on soupçonne les origines extra terrestres), que du flamand Gert de Mangeleer ou de l’ardennais Clément Petitjean.

Quand la France s’obstine à promouvoir son ‘goût de France’, qui sent plus le mobilier Louis XVI et l’exil fiscal monégasque que le terroir et l’inventivité, la Belgique mixe les influences et revisite sa mémoire culinaire sans se fermer aux mouvements et aux évolutions étrangères. Il suffit d’évoquer le poivron confit au fromage de chèvre de Gert de Mangeleer pour confirmer le diagnostic. Une flamand qui donne une leçon de basque. C’est pertinent, intelligent, parfaitement équilibré…

Et on pourra ajouter le chou pointu de Sigurdarson, ou le double coup poing dans la face de Mario Elias, lard et foie gras, sur un risotto d’épeautre. De la joie de passer du plus pur végétarisme à une bombe carnivore, sans sourciller.

Un des plus beaux moments de la soirée, ce fut le commentaire d’un serveur, aussi surprenant que toute la distribution du festival. Je râlais sur les restes de gras dans les assiettes. Comment peut-on manger du lard et laisser le gras ? « Mais monsieur, les gens veulent un monde aseptisé. Ils n’osent plus goûter. » Heureusement, il nous reste les belges, qui de tous les peuples de la Gaule, définitivement, sont les plus déroutants, pour nous mettre un peu de désordre dans tout ça, et pour nous faire danser les papilles.

Alors allez faire un tour à Culinaria, n’achetez pas le nouveau Mumford & Sons et (si vous le croisez dans les allées) demandez à Vilhjalmur Sigurdarson de quelle planète il vient. Les restaurants doivent y valoir le détour.

Peyo Lissarrague

 


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